Le premier rendez-vous avec un auteur

Vous n’avez jamais écrit d’ouvrage, mais l’envie de livrer un récit, un témoignage, un essai sur une thématique forte du moment, ou de partager une expertise, vous taraude depuis un moment. Un éditeur a accepté de vous rencontrer. Rien n’est encore conclu, mais l’horizon des possibles s’est soudain élargi. De son côté, l’éditeur a été intéressé, touché, interpellé par votre proposition et souhaite en savoir plus. Une rencontre se profile.

Qu’attend chacune des deux parties de l’autre ? Quels enjeux se poseront lors de cet entretien, souvent émouvant pour l’auteur en herbe, mais aussi, on l’oublie, également pour l’éditeur pour qui chaque projet est une genèse, une occasion renouvelée de satisfaire sa curiosité, son goût pour la rencontre et la projection dans l’avenir… mais aussi une prise de risque.

Ayant exercé de longues années le métier d’éditeur, je partage ici quelques réflexions issues de cette expérience si apprenante, souhaitant qu’elle irrigue, elle aussi, ma posture de coach. Je serai ravie de lire vos témoignages ou interrogations sur cette relation, les attentes qu’elle suscite, les croyances qu’elle véhicule parfois, et vos pistes à vous, de part et d’autre, pour en prendre soin !

Une proximité avec le coaching

L’éditeur qui a choisi ce métier l’a rarement fait pour des raisons mercantiles. Souvent, cette entrée en artisanat s’est faite de façon presque impérieuse, mue à la fois par un goût profond pour la lecture (un pré-requis qui ne suffit pas cependant !), l’altérité, le plaisir de valser d’un cadre de référence à l’autre, d’oser des pas de côté pour aller à la rencontre d’une autre histoire, d’un autre style, d’un univers méconnu, et d’aider l’auteur à porter son texte à la connaissance du public avec les mots justes, une cohérence, une authenticité, un message limpide… le tout humblement et sans se substituer à lui ni lui apporter toutes les solutions (au risque qu’il devienne dépendant de son éditeur pour écrire la moindre ligne !).

L’auteur en herbe qui vient livrer son synopsis a besoin d’être accueilli de façon inconditionnelle : installer la relation avec générosité rendra l’éditeur d’autant plus légitime, plus tard, lorsqu’il fera des feedbacks, positifs ou négatifs. Partager un écrit relève de l’intime, on ‘abandonne ‘à l’éditeur une part de soi, et cela requiert un climat de confiance (à entretenir tout au long du processus d’écriture car il n’est jamais acquis). Lors de ce premier rendez-vous, l’éditeur doit prendre le temps d’installer avec soin des conditions favorables à l’échange. Il peut se synchroniser avec l’auteur, et, surtout, tâcher de le regarder avec ouverture et profondeur : un auteur qui se sent considéré avec bienveillance et soutenu dans ce qu’il partage, même maladroitement, sera d’autant plus lui-même dans ses écrits, et apte à faire des merveilles, à contacter son ‘génie personnel’.

Ce premier rendez-vous, pour peu que le projet séduise l’éditeur, est donc déjà en soi une séance de travail qui ne dit pas son nom, où l’on explore une réalité, jauge ce qu’il peut advenir de la relation, où l’on se fait une représentation du monde et des attentes de l’autre. Un rendez-vous escamoté en revanche, parce que mal préparé ou pris en tenaille entre deux autres réunions, et c’est peut-être un projet porteur, une rencontre humaine précieuse qui file entre les doigts de l’éditeur faute d’une ‘pleine présence’.

Entre pédagogie et partage

Dans l’idéal, l’éditeur peut prendre soin d’expliquer en quoi consiste son métier, et comment se déroulera l’accompagnement. Cette phase ‘pédagogique’ est cruciale : peu de primo-auteurs connaissent les arcanes de cette relation si spécifique et ils arrivent souvent avec des croyances sur le processus éditorial, mais aussi le contrat, la rémunération… Il s’agit à la fois de donner envie de travailler avec vous… sans promettre la lune. Outre une explicitation de sa posture (dont l’auteur va, avec le temps, peut-être intégrer des réflexes, ce qui ne laissera pas d’amuser l’éditeur), il a tout intérêt, si le projet se fait, à le renseigner en des mots simples sur le métier d’éditeur, ce chef d’orchestre de l’ombre qui coordonne souvent de nombreux métiers pour publier un projet. Il lui indiquera le cadre du travail : étapes de la réalisation, délais, et les implications de la relation spécifique auteur-éditeur (loyauté, engagement réciproque, respect du cadre de référence de chacun et du contrat, confidentialité…).

L’éditeur veillera aussi à son langage, évitera tout jargon, ou l’explicitera (non, tous les auteurs ne savent pas ce que signifie ‘lire les épreuves’ et ‘signer le bon à tirer’) et, surtout, évitant ainsi l’écueil de la ‘toute puissance’ liée à l’attente, souvent forte, que l’auteur a envers lui. A l’issue de ce rendez-vous, l’éditeur a certes le choix de retenir ou pas le projet de l’auteur, mais l’inverse est vrai : l’auteur peut avoir sollicité d’autres maisons d’édition. L’équilibre de la relation est ce qui en fait la richesse. Chacun avec son expertise, on sort grandi de l’aventure, même (et peut-être surtout) lorsqu’on a traversé ensemble les 40e rugissants.

Le contenu… mais pas que !

Si l’éditeur parvient, lors de ce rendez-vous, à s’intéresser, outre au contenu que l’auteur lui expose, aux processus qui se jouent, il accèdera à une compréhension plus fine de se personnalité, et de son projet : comment celui-ci se présente-t-il ? Comment son envie d’être édité se manifeste-t-elle ? Quel est son niveau d’énergie ? Que met-il en exergue, et dans quel ordre ? Si le projet est collectif, sent-on une cohésion, comment les coéquipiers parlent-ils de leur envie de collaboration, de ce qui a présidé à leur rencontre autour du manuscrit qu’ils soumettent ? Se regardent-ils ? Sent-on un leadership poindre chez l’un d’eux ? Manifestent-ils une forme de souplesse qui augure d’une capacité, à la fois à travailler ensemble au long cours, mais aussi à écouter ce que l’éditeur aura parfois à leur suggérer ?

Aussi, l’éditeur a tout à gagner au fil de cet entretien à laisser des silences… à se mettre en position méta et s‘interroger sur son niveau d’écoute. Est-il suffisamment dans l’accueil, pour que son interlocuteur se livre sans masque ? Une petite voix intérieure porte-elle un jugement sur ce qui est présenté et si oui, qu’en faire ? Sait-il détecter en lui les émotions que suscite cette prise de contact : par exemple, se sent-il dynamisé par l’énoncé du projet, porté par l’envie de le faire aboutir, la hâte de lire le texte complet, ou au contraire déçu par rapport à la représentation qu’il s’en était faite, voire agacé ? Si l’éditeur repère en lui une zone d’inconfort, mais que le projet l’intéresse vraiment, il pourra ensuite garder à l’esprit certains points de vigilance. Par exemple, certains éditeurs sont mal à l’aise avec les auteurs peu diserts lors du rendez-vous de prise de contact, d’autres au contraire sont vite agacés par un auteur relatant son projet par le menu : ces réactions parlent de l’éditeur, avant d’être une indication sur l’auteur ! (Et là aussi, le rapprochement avec le coaching me semble pertinent). Etre conscient des besoins de l’auteur permet de s’adapter à lui, ensuite, une fois le processus d’écriture enclenché.

Lorsqu’est évoquée la fameuse ‘question qui fâche’ (le planning), toujours dans l’hypothèse où une possibilité de collaboration est en bonne voie, l’éditeur doit être assez présent à ce qui se joue pour relever si les propos et le non-verbal de l’auteur sont congruents. Un auteur qui affirme que son emploi du temps lui permet de relever le défi d’un délai très serré, mais dont un signe du visage ou une posture dit tout le contraire, mérite peut-être que l’on s’attarde sur la question…

Un premier rendez-vous réussi

L’éditeur structure l’échange en pilotant le processus mais en laissant l’éditeur exposer son projet. Si un de ses aspects n’est pas compris (message principal d’un essai, ou ses éléments de différenciation avec des ouvrages existants), l’éditeur pourra, comme le fait un coach, poser des questions de clarification, reformuler, afin d’éviter tout malentendu et de ne pas ‘projeter’ sur le manuscrit à venir des éléments qui, peut-être, ne font pas partie du dessein de l’auteur ! Ces reformulations ont aussi le bienfait de manifester son intérêt à son interlocuteur.

Tout au long du rendez-vous, l’éditeur favorisera un échange authentique, en gardant à l’esprit que quoiqu’ayant un projet commun, son auteur et lui peuvent lui associer des besoins différents : par exemple, l’éditeur peut avoir un deuxième enjeu, caché, derrière cette parution, celui de prouver à sa hiérarchie qu’il a eu une bonne idée en défendant une collection… De son côté, l’auteur peut avoir l’enjeu ‘souterrain’ d’être reconnu par ses pairs, etc). Dans les deux cas, ce n’est pas uniquement la réussite chiffrée du livre qui se joue, mais des aspects plus subjectifs, qui seront peut-être reconvoqués lors de l’accompagnement à l’écriture. Ces enjeux ne doivent pas prendre le pas sur le désir profond de la qualité de l’échange et du projet final, mais il serait vain pour autant de nier leur existence.

S’imaginer ‘en chemin’

A l’issue du rendez-vous, si aucune décision n’est encore prise (cas le plus courant), l’éditeur pourra se demander s’il se projette dans une relation de longue durée avec cet auteur. L’expérience montre que la première intuition se vérifie souvent. Le travail maïeutique prend parfois des mois et il importe de s’imaginer déjà ‘en chemin’ avec son futur compagnon de route.

Enfin, si l’éditeur est décidément séduit par le projet et décide de l’éditer, il aura tout intérêt à lui envoyer assez tôt des signes de reconnaissance positifs, en particulier lors de l’enclenchement de l’écriture : cela entretiendra chez l’auteur une forme de ténacité dans le travail, qui peut être fragilisée par de nombreux facteurs exogènes, mais aussi par ce que traverse intérieurement l’auteur au fil du processus (des doutes sur les contours du projet, une baisse de l’estime de soi, une fatigue… l’écriture demandant une énergie insoupçonnée).