La marche essentielle
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé marcher. Faire courir mes doigts sur les pages des atlas. En ville, éviter les transports en commun quand la distance le permet. En montagne, voir au gré de l’ascension le paysage changer, sans souci de la performance mais dans la quête patiente d’un col ou un d’un sommet où avoir une vue dégagée sur la nature, où me taire, seule ou accompagnée, et respirer pleinement. Et en bord de mer, enfin, hors saison, le long du littoral Atlantique, pour arpenter sans but particulier les sentiers côtiers et de longues plages à marée basse.
Mettre à distance le mental
La marche, acte simple, gratuit, est presque un pied de nez aux impératifs de la ‘gestion’ du temps et du ‘prêt-à-consommer’. Elle apaise, fournit un recul bienfaisant, soutient merveilleusement la prise de décision, accompagne les joies, permet parfois de convoquer des souvenirs, d’expulser des peines trop longtemps réprimées, d’adoucir des amertumes. C’est parfois un acte courageux de retour à soi à une époque où il peut être plus simple de se laisser happer par la grande vitesse et la méconnaissance… C’est une démarche où l’émotion reprend un peu sa place, où l’on peut mettre à distance le mental – souvent source de ruminations-, convoquer tous les sens et se reposer de l’hyper-vigilance favorisée par le digital. Comme l’écrit si bien le sociologue David Le Breton dans Eloge de la marche, « contrairement à la route, le chemin est un appel à la lenteur, il ouvre la voie à la découverte, la surprise, l’exploration, il invite à la liberté »
De nombreux écrivains, philosophes, scientifiques, artistes s’adonnaient à la marche. Aristote, Socrate, Montaigne, Rousseau, Wordsworth, Rimbaud, Yourcenar, Gracq (qui fut géographe avant d’être écrivain, et observe Nantes de façon poétique dans La forme d’une ville), et tant d’autres… Einstein partait en forêt lorsqu’il bloquait dans une démonstration. La Symphonie Pastorale fut inspirée à Beethoven par ses promenades à travers champs et bois.
Capacité d’observation et humilité
De nombreux explorateurs ‘non conquérants’ ont depuis toujours accompagné mes lectures, d’Henry David Thoreau, infatigable marcheur du 19e siècle qui s’isola dans le New Jersey et fit part de son observation de la nature, à Jacques Lanzmann, ou Antoine de Baecque qui fit un formidable récit de sa traversée des Alpes à pied. Ou encore Alexandra David Néel, qui fit plus de 2 000 kilomètres à pied pour rallier le Tibet, terre alors interdite, dans les années 1920. Nicolas Bouvier, merveilleux conteur de ses pérégrinations, le fut aussi de son cheminement intérieur (L’usage du monde, Journal d’Aran et d’autres lieux…), jamais exempt d’auto-dérision. Plus près de nous, le norvégien Thomas Espedal a fait le récit de son long périple à travers l’Europe, et Lionel Daudet raconté son étonnant tour de France à pied longeant, très exactement, la frontière. Olivier Bleys, lui, parcourt le monde depuis 10 ans, par étapes. Il s’adonne aussi à la découverte urbaine de proximité, et en fait le récit dans des ‘aventures de poche’ aux antipodes des récits héroïques et parfois auto-satisfaits que l’on peut lire parfois. Tous ont en partage une capacité d’observation, une forme d’humilité, un sens de l’autodérision. Bernard Ollivier, connu de nombreux lecteurs pour son ouvrage en 4 tomes, La longue marche, qui relate sa traversée de la Méditerranée à la Chine, a plus récemment fondé L’association ‘Le Seuil’, qui accompagne la réinsertion de jeunes décrocheurs ou délinquants via un parcours à pied de 100 jours, seul avec un accompagnant, et permet d’aller à la rencontre de soi, dans un espace éthique et bienveillant
S’autoriser à ralentir
Si je souhaite proposer certains coachings en partie ‘marchés’, notamment à des personnes ayant vécu un accident de parcours professionnel qui a pu ébranler des certitudes, des croyances vis-à-vis du monde du travail ou de leurs propres capacités, et même s’inscrire dans le corps (burn out…), c’est pour partager le bienfait de cette mise à distance vis-à-vis du quotidien. C’est pour qu’elles s’autorisent enfin à ralentir un rythme effréné, à se libérer d’une certaine pression. C’est, quand il est possible de déambuler dans un parc ou un bois, pour partager ensemble le souffle du vent, le bruissement des feuillages, et permettre qu’elles y retrouvent un peu de l’énergie perdue, comme le font de nombreux japonais qui prennent des ‘bains de forêt’ pour se calmer de l’agitation de la vie urbaine.
Mais ces marches ne visent pas à la seule déambulation, ce qui ferait courir ( !) le risque de ne pas mener le coaching à son objectif, qui doit toujours tenir lieu de boussole. En marchant à ses côtés, et parfois lors de pauses, je souhaite inviter le client à élaborer sa réflexion à un rythme qui lui est propre, l’accompagner en approfondissant ou reformulant une interrogation, en lui faisant faire un pas de côté propice à un recadrage bienveillant, et en rebondissant sur une piste explorée qui permettra d’affiner un plan d’action. L’idée n’est pas tant de lui montrer le chemin comme le ferait un guide que, dans une posture basse, mais pleinement présente, d’y déposer çà et là un rai de lumière.
Cette marche peut ne représenter qu’une étape très ponctuelle du coaching, par exemple avant un entretien ou examen à enjeu, un cap à passer lors d’une reconversion, avant une expatriation… ou être, au contraire, plus centrale dans le dispositif pour ceux qui le souhaitent. Car il ne s’agit pas de marcher pour marcher mais bien de répondre d’abord au besoin du client, ici et maintenant.